La prescription de l'action en nullité du licenciement prononcé en raison d'une discrimination

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Cass. Soc., 17 mai 2023, n°21-17.315

 

L’action en reconnaissance de la nullité de la rupture d’un contrat de travail en raison d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination alléguée

 

Voilà une décision presque passée inaperçue qui, pourtant, apporte une interprétation majeure des textes applicables en droit du travail par la Chambre sociale de la Haute juridiction, qui plus est particulièrement favorable aux salariés.

 

Pour rappel, l’article L. 1471-1 du Code du travail, issu de l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 (dite « Ordonnance Macron ») dispose que les actions relatives à l’exécution du contrat de travail se prescrivent par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit, et par douze mois pour les actions portant sur la rupture du contrat de travail à compter de la notification de celle-ci.

 

En revanche, l’article L. 1134-5 du Code du travail prévoit que l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

 

Dès lors, par une interprétation a pari (c’est-à-dire par analogie) de ces deux textes, il en résulte qu’une rupture du contrat de travail qui intervient dans le cadre d’une discrimination pourrait être contestée dans le délai de douze mois seulement, dans la mesure où cette action à trait à contester la rupture du contrat de travail et non seulement à la réparation du préjudice qui découle de la discrimination.

 

Pourtant, ce n’est pas l’interprétation qui est livrée par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui fait une lecture extensive de ces textes.

 

En l’espèce, un salarié avait été engagé le 27 juillet 1999 en qualité d’agent professionnel de fabrication, puis licencié par lettre du 12 juin 2012, notifiée le 18 juin 2012, pour cause réelle et sérieuse en raison d’absences injustifiées.

 

Le salarié qui estimait avoir été licencié en raison de son état de santé formulait une demande d’aide juridictionnelle le 14 juin 2016 puis saisissait le Conseil de prud’hommes le 29 juin 2016, en sollicitant la reconnaissance de la nullité de son licenciement, sa réintégration au sein de l’entreprise ainsi que la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes.

 

Par arrêt du 18 juin 2020, la Cour d’appel de Versailles déboutait le salarié de ses demandes en en retenant que « l’action en nullité du licenciement fondée sur la discrimination subie par le salarié demeure soumise au délai d’action de deux ans » (l'analyse de la Cour est déjà critiquable alors qu'elle applique le délai relatif à l'exécution du contrat de travail alors qu'elle évoque la rupture de celui-ci). 

 

Le salarié se pourvoyait alors en cassation et faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir jugé son action en contestation du licenciement prescrite « alors que l’action du salarié est fondée sur des faits allégués de discrimination » et qu’elle est donc « soumise à la prescription quinquennale, quel que soit l’objet de sa demande ; qu’en conséquence, l’action tendant à faire annuler un licenciement en raison de son motif discriminatoire, et tendant à tirer les conséquences de cette annulation, est soumise à la prescription quinquennale ».

 

La Cour de cassation rappelle les dispositions de l’article L. 1471-1 du Code du travail en précisant qu’elles ne sont pas applicables aux actions exercées en application de l’article L. 1132-1 du même Code. Que par une lecture combinée des articles L. 1132-1, L. 1132-4 et L. 1134-5 du Code du travail, elle affirme que l’action en reconnaissance de la nullité de la rupture d’un contrat de travail en raison d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la discrimination alléguée.

 

Ainsi, la Cour de cassation estime que les juges du fond ont violé les textes rappelés ci-dessus en jugeant l’action du salarié prescrite en ayant affirmé que le délai de 2 ans ne pouvait être écarté que pour les actions en réparation du préjudice résultant d’une discrimination et non pour les actions relatives à la rupture du contrat de travail.

 

Bien que cette interprétation soit extensive et quelque peu éloignée de la lettre du texte, elle est somme toute parfaitement logique quand il s’agit d’interpréter les textes a fortiori, c’est-à-dire par une extension de la règle de droit à un cas non prévu par elle parce que la raison d’être de la règle se retrouve avec plus de force encore dans le cas non prévu par le texte.

 

En effet, si le Législateur a voulu permettre au salarié discriminé de pouvoir agir pendant 5 ans en réparation de son préjudice issu d’une discrimination, pourquoi ne lui aurait-il par permis de le faire quand il a été licencié en raison de cette même discrimination et ce, alors même que le licenciement est l’expression la plus grave du pouvoir disciplinaire de l’employeur ?

 

Bien qu’il s’agisse d’un arrêt isolé, non publié au Bulletin, il est heureux que la Chambre sociale de la Cour de cassation ait pu ouvrir la porte de la prescription quinquennale au salarié discriminé qui souhaite faire annuler son licenciement puisque, en pratique, de nombreux salariés victimes d’une telle situation mettent plusieurs années pour agir contre leur ancien employeur.

 

Le Cabinet reste à votre disposition pour vous accompagner si vous êtes victime d'une discrimination. 

 

Stévie FLEURY SPIRIDIGLIOZZI 

Avocat au Barreau de Paris

Chargé d'enseignement en Droit du travail à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

et à l'Université Cergy Paris